Projets de recherche
Événement Commerce et Anthropocène
Plus de 150 chercheur(e)s et professionnel(le)s du commerce étaient réunis ce 5 juillet 2022 au sein du Palais des Beaux-Arts à l’occasion de la Journée de la Chaire industrielle TREND(S) (Transformation of Retailing Ecosystems and New market DynamicS) de l’Université de Lille. Depuis sa création en 2019, portée par la professeure Isabelle Collin- Lachaud, celle-ci a pour vocation d’éclairer les transformations du secteur de la distribution. Pas moins de 35 chercheurs émanant de 14 laboratoires de trois pays ainsi que trois enseignes majeures de la distribution (Boulanger, IDKIDS et Leroy Merlin), la MEL, l’initiative d’Excellente de l’Université de Lille et Cap Digital la composent aujourd’hui. L’évènement mêlant conférences et tables rondes, s’appuyant sur la diversité des travaux de la Chaire, invitait ainsi les participants à s’interroger sur un thème ancré dans la réalité du monde et son urgence : « Commerce et Anthropocène : Quel(s) rôle(s) pour contribuer au bien-être individuel et collectif ».
Conférence d'ouverture par le Pr. Eric Remy
« Nous avons l’habitude de faire des entrées de journée plus sympathique mais, on en est là. Pour citer le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), le déni de gravité et d’urgence du changement climatique ne sont plus des options », a tenu à insister le professeur Eric Rémy dans sa conférence d’ouverture de la Journée de la chaire TREND(S). Un événement consacré à un sujet plus que jamais d’actualité : « Commerce et Anthropocène, quel(s) rôle(s) du commerce pour contribuer au bien-être individuel et collectif ? ».
L’anthropocène, une thématique « récente » dont le constat ne doit cependant pas être minimisé. « Ce n’est pas une crise. Cela va bien au-delà. [… ] C’est un changement de l’état du monde et de notre planète considérable », affirme Eric Rémy. Et le professeur de sciences de gestion à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier d’en expliciter les raisons.
Par son caractère irréversible tout d’abord. « Que ce soit sur la fonte des glaciers, le réchauffement de la mer, l’extinction de 25% des espèces d’oiseaux et des poissons… Une fois que cela aura eu lieu, on ne pourra pas revenir en arrière », rappelle-t-il en s’appuyant sur le dernier rapport du Giec.
L’anthropocène a également la particularité d’être systémique. « On ne va pas pouvoir résoudre en segmentant les différents aspects du problème. Tout est interdépendant », explique-t-il. Avec en arrière-plan, le danger des points de bascule et des réactions en chaîne.
« L’anthropocène, c’est le pouvoir tellurique de l’Homme a changé la géophysique de la planète. Mais il se peut qu’à partir d’un certain seuil, aux alentours de deux degrés [de hausse de la température mondiale], on ne puisse plus rien gérer du tout », énonce-t-il.
Preuve en est l’apparition « d’ovnis climatiques ». Températures plus de 25 degrés au-dessus de la normale, constatées en Antarctique, multiplication des canicules... les exemples se multiplient. Le monde arrive ainsi à des « incertitudes radicales ». Pour autant, il ne peut placer son salut dans la seule technologie. « Elle est utile mais ne nous sauvera pas ».
Pour Eric Rémy, il faut donc désormais suivre les préconisations des experts et « apprendre à faire société, à revoir les relations au vivant et à redéfinir des communs ».
Des éléments de constat néanmoins déjà présents dans les entreprises. «Ils commencent à être intégrés dans les actions et décisions opérationnelles ou stratégiques », relève le chercheur. Avec plus ou moins d’aisance malgré tout. « Car elles sont soumises à la fois à un lot de contraintes de plus en plus importantes et des injonctions de plus en plus paradoxales », ajoute Éric Rémy.
De fait, cela ne va pas sans tension. Autour de la gestion du temps -«Il s’accélère quand on nous demande aussi de décélérer»- ou encore autour de l’espace.
A cela s’ajoutent de nouvelles « formes d’ambidextrie » définies par James March. La plus complexe étant « comment s’adapter en atténuant nos émissions de gaz à effet de serre ? ». D’autant que celle-ci sous-tend la question de la sobriété et l’idée même de croissance.
Désormais, elle se retrouve interrogée et ce, bien au-delà de son impact sur la planète ou de la guerre en Ukraine. Dans son sens même. « Ce modèle ne fait plus sens, au moins pour une certaine génération. C’était pourtant un axiome sur lequel on basait nos évolutions », note le chercheur. La « grande démission » de 2021 a ainsi vu 38 millions d’Américains démissionnés ; 1,6 en France.
Malgré tout, « des choses peuvent être faites », positive le chercheur. Nonobstant, elles nécessitent « un changement de paradigme profond ». Auquel la distribution n’échappe pas.
Et de citer « Héritage et Fermeture » (Monnin, Bonnet et Landivar, 2021) Pour y parvenir, celle-ci devra ainsi répondre à des questions capitales : « Comment après avoir été un acteur de la société de consommation, va-t-elle/peut-elle devenir un acteur d’une société en post-croissance ? Comment la distribution et le commerce peuvent passer d’une culture de matérialité à la sobriété ? ».
Autant de réflexions au cœur des travaux de la chaire TREND(S). « Il faut organiser le pessimisme, conclut Eric Rémy, empruntant au philosophe Walter Benjamin. Je vous y invite tout en restant positifs ».
Outre les travaux présentés et discutés ce mardi 5 juillet au Palais des Beaux-Arts de Lille, cette réflexion est au cœur de l’ouvrage collectif « Rêvolutions du commerce dans une société en transition » coordonnée par la Pr. Isabelle Collin-Lachaud (porteuse de la chaire TREND(S), IAE, Université de Lille, LUMEN) à paraître aux éditions EMS en septembre.
A.C. pour la communication de la chaire TREND(S)
Conférence de clôture by The Shift Project
« Organiser le pessimiste, tout en restant positifs », invitait le professeur Eric Remy dans l’épilogue de sa conférence d’ouverture. Cet emprunt au philosophe Walter Benjamin apparaît certainement un parfait résumé de la Journée de la chaire TREND(S) et de sa thématique « Commerce et Anthropocène ». C’est donc tout logiquement que l'événement s’est conclu par une conférence de The shift Project. Ce Think Tank, présidé par l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, s'est en effet donné pour objectif l'atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l'économie aux énergies fossiles. Pour ses membres, l’heure n’est pas à la désespérance mais bien à l’action pour une profonde transformation. Avec un rôle à jouer pour tous les acteurs : citoyens, consommateurs, entreprises, puissance publique comme investisseurs.
« Nous savons que cela sera compliqué mais il existe des solutions pour diminuer notre impact. Tout n’est pas fini », amorce Dimitri Carbonnelle, fondateur de l’agence de conseil en Innovation durable et nouvelles technologies « Livosphere » et Shifter. The Shift Project de rappeler cependant la gravité de la situation. Graphiques et données à l’appui. « Les émissions de CO2 sont en hausse depuis l’ère industrielle. Mais depuis les années 2000, non seulement elles continuent d’augmenter, mais elles s’accélèrent » souligne Delphine Weiskopf, facilitatrice en stratégie bas carbone et shifteuse. L’urgence est donc bien d’inverser la tendance. « Si on ne fait rien, on va aller jusqu’à 4 et 6 degrés de hausse de la température mondiale », avertit-elle.
Pour rappel, le Giec alerte depuis des années sur les conséquences désastreuses pour la planète d’une hausse supérieure à 2 degrés. Le seul choix est donc bien de baisser les émissions. Des engagements ont été pris en ce sens par les gouvernants à la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques. Un espoir.
Mais ces derniers doivent plus que jamais être suivis de véritables effets. « Nous sommes déjà à 1,1 degré de hausse et, pour l’instant, peu de promesses ont été tenues. On continue donc sur une trajectoire inquiétante », rappellent les Sifters. Alors pour la dévier désormais, non seulement il faut réduire les émissions, mais selon une pente « forte voire très forte ». « Les diminutions nécessaires sont équivalentes à celles connues lors du Covid pendant les premiers confinements, lorsque le monde était à l’arrêt », ajoute Delphine Weiskopf. Et celles-ci pourraient s’avérer encore insuffisantes.
Poussées tant par le constat, que par la législation et par la mobilisation de la population, les entreprises se trouvent donc obligées de s’adapter, d’évoluer. Travail, auquel participent les recherches de la Chaire TREND(S), qui a déjà entamé en partenariat avec Boulanger, Idkid’s et Leroy Merlin. Mais comment reste-t-on une entreprise pérenne dans une société décroissante ? La question est nécessairement à prendre dans un ensemble.
C’est pourquoi le Shift Project a élaboré un « Plan de transformation de l'économie française » (PTEF). Ou comment rendre l’économie compatible avec la limite des 2 °C. Industrie, agriculture, énergie, fret, mais aussi santé ou encore culture, il propose des mesures concrètes favorisant la résilience et l’emploi. Un projet important qui nécessitera certainement des compléments. Le commerce étant pour l’instant absent des secteurs clefs listés, relève Pr. Isabelle Collin-Lachaud.
Dans tous les cas, cela ne se fera pas sans un « changement radical des entreprises ». « Elles ne doivent pas seulement compenser leurs émissions de gaz à effet de serre mais bien les réduire en intervenant sur l’ensemble du spectre et pas seulement sur la production. De l’amont à l’aval jusqu’à la fin de vie du produit vendu », insistent les Shifters.
A.C. pour la communication de la chaire TREND(S)